>

mardi, octobre 25, 2005



La belle à l’imperméable
Le sombre et froid éclat verglacé
De la solitude des rues où l’averse vient se
fracasser
Fait frissonner de fièvre le piéton qui s’y
aventure
Et parfois se laisse aveugler par le méchant
néon de la devanture
De rares magasins ouverts tard le soir
Qui prêtent à la ville un amer goût de
désespoir.
L’interminable effroi de la pluie qui s’abat
sans bruit
Ecrase de sa sordide indifférence le maigre
flot des voitures attardées
Où l’on pense que ce sont des gens qui
s’enfuient,
Se sont fait piéger et ici se sont hasardés.
Un parapluie couleur du temps, inutile et
dérisoire
Couvre à peine de sa petite toile toute
noire
Le crâne luisant de fièvre d’un passant au
bord de la nausée
Et le protège mal de l’humidité qui sur lui
s’est posée
A dégouliné, puis dans ses vêtements s’est
imprégnée
Pendant que planté au bord d’une flaque il
attend le bus, le dernier
Blasé, soumis, cassé, indifférent déjà,
ayant du lion
Perdu la superbe et l’esprit de rébellion.
On voit bien qu’il vit dans une grande
détresse,
Qu’il subit les règles et jamais ne les
transgresse.
La grande ville au sein de son
endormissement,
Ne lui permet aucun assouvissement.
La sépulture où l’a conduit cette pénible
errance
Pèse sur la conscience de son irrémédiable
insignifiance.
Pourquoi faut-il donc que ce soit le moment
choisi par le hasard
Pour lui blesser le cœur de son terrible
dard ?
Un ciré sombre apparaît soudain au détour
d’une rue,
Puis chatoie dans la lumière en approchant
dans l’avenue ;
C’est une grande fille habillée d’un
imperméable
Dont les menus pas, résonnant comme une
musique désirable
Eveillent d’un fol espoir le regard de
l’inconnu,
Qui se surprend à imaginer la belle toute
nue,
A savourer une complicité naissante
Avec celle qui n’est encore qu’une
adolescente.
L’eau s’évapore
Son rêve prend corps
L’oiseau prend son essor
Vers l’astre couleur d’or
Ainsi part l’ennui
A la fin de la pluie,
Quand l’amour nous sourit
Et nous arrache des cris
La carapace s’entrouvre et fait place
A une beauté qui n’est pas de glace
Le doux et soyeux froufroutement des étoffes
ténébreuses
Les conduit peu à peu dans une sarabande
amoureuse
Où l’épiderme diaphane chargé de senteurs
ensorcelantes, au milieu de la nuit
Eveille aux sens les torpeurs haletantes ;
la fleur se transforme en fruit…
L’arrivée redoutée d’un affreux autobus à
impériale
Ramène brusquement l’inconnu à sa triste
réalité ;
Ce n’est pas aujourd’huy ni demain ni jamais
qu’avec la belle il pourra s’aliter
Qu’il est dur cependant ce retour à la
normale.
Si vous aussi vous êtes dans une éternelle
souffrance
Et qu’un moment de bonheur infime risque de
vous en détacher
Remontez votre col, regardez par terre et
ressassez votre vie gâchée
Ca vous évitera au moins la rechute dans
l’enfer de votre insuffisance.
Restez à l’abri des couleurs, de l’émotion
et de ces choses corrosives
Qui rongent peu à peu les chaînes qui nous
retiennent aux rives
De l’ennui, de la grisaille et d’un
quotidien rassurants
Car nous savons bien au fond de notre cœur
Qu’en dévorant ainsi un festin de rancoeurs
Nous ne risquons pas de retomber dans un
malheur plus grand.
Si nous ne nous contentons pas de l’aumône
d’une vie cruelle
Nous serons bien déçus quand elle se fera la
belle, la belle
Qui dans son sillage nous entraîne
irrémédiablement
Pour nous laisser retomber dans un monde de
tourments
Où les étoiles ne brillent pas au firmament,
Où le bonheur n’est qu’un mot d’enfant
Qui ne dit rien car il est innocent…